Alors que le mouvement nationaliste est devenu majoritaire à l’Assemblée de Corse depuis 2015 et que son histoire a fait l’objet de nombreux ouvrages et documentaires, la présence féminine dans ses rangs a été très largement oblitérée. C’est encore plus le cas en ce qui concerne le champ de la lutte armée clandestine ou de la contestation publique violente, menée à visage découvert. Sept ans après l’adieu aux armes du Flnc, et alors qu’une femme nationaliste, Nanette Maupertuis, vient de devenir la première Présidente de l’Assemblée de Corse, retour sur un demi-siècle d’histoire, pour y rechercher les traces des militantes clandestines ou arrêtées pour leurs liens, réels ou supposés, avec l’organisation armée ou pour des actions violentes.
Dans les organisations clandestines qui ont précédé le Flnc, et qui avaient pour noms le FPCL (Fronte paesanu Corsu di Libérazioni), crée en 1973, et Ghjustizia Paolina, fondée en 1974, aucune femme n’ était présente, d’après les informations communiquées à Corsica.News par des militants de ces mouvements. En revanche, elles font leur apparition dans les rangs du FLNC, peu après sa création, en mai 1976. Dans un article signé par Audrey Lebel, paru sur le magazine en ligne Cafebabel, Léon Alessandri, l’un des premiers responsables du « Front » en Haute Corse affirme: « on ne les a jamais laissé dépasser un certain seuil de violence »… Selon lui, les femmes ont soutenu le mouvement de diverses façons, ont assuré par exemple les transports d’armes et d’explosifs et caché les Recherchés, plus que participé à des attentats. La situation a été sensiblement différente en Corse du Sud, où quelques militantes – une poignée- ont bel et bien opéré de telles actions: une information confirmée à l’auteure de ces lignes par certaines d’entre elles et par un responsable du FLNC. Des femmes, en nombre très restreint, auraient été présentes également dans des groupes du Front ayant opéré dans l’Hexagone, lors des nuits bleues qui ont marqué les années 70-80.
En 1979, N.F, une militante nationaliste qui vivait à l’époque à Marseille, est arrêtée. A l’époque, c’est la Cour de Sûreté de l’Etat (CSE), une juridiction d’exception dissoute par le Gouvernement socialiste élu en 1981, qui poursuit et juge les personnes accusées de porter atteinte à l’Etat. NF ne passera toutefois pas en procès.
Une « Continentale« , première condamnée pour liens avec le flnc!
A la même époque, une militante continentale d’extrême-gauche, Colette Meynard, une enseignante de 33 ans, est mise en examen et poursuivie pour ses liens avec le Flnc. Elle sera jugée en juillet 1980 par la CSE. Elle comparaît libre mais est ensuite emprisonnée, condamnée à cinq ans de détention, dont la moitié avec sursis. Elle est exclue de l’Education Nationale. Son emprisonnement prendra fin plus tôt que prévu, en raison de l’Amnistie promulguée par le Gouvernement Mitterrand.
Ce n’est pas la participation à des attentats qui a motivé la condamnation de Colette Meynard, mais l’aide apportée à l’organisation d’un voyage à Beyrouth, au Liban -auquel elle a elle-même participé- de deux militants du FLNC, Léon Alessandri et Laurent Covili. Leur objectif: rechercher une filière d’armes et suivre un entraînement militaire dans un camp palestinien. Colette Meynard n’a pas participé à cette « formation » militaire. Selon ses déclarations lors de son procès, son rôle s’est borné à celui de guide des militants corses au Liban, sans connaissance de leurs motivations véritables. Elle explique sa mission par ses sympathies pour la cause palestinienne. Elle n’en sera pas moins la première femme condamnée pour ses liens avec le Flnc. Elle est décédée en 2012 à Paris. Sa disparition n’a guère été connue en Corse mais a donné lieu en revanche à un hommage dans l’Hexagone, lors de ses obsèques à Aubervilliers, de la part du Parti Socialiste, le mouvement que cette militante et syndicaliste du Sgen-Cfdt avait rejoint depuis des décennies. Elle est notamment évoquée dans l’ouvrage autobiographique de Léon Alessandri et dans ceux de Pierrot Poggioli consacrés à l’histoire du Flnc.
En janvier 1980, alors que Colette Meynard n’était pas encore jugée et incarcérée, ce sont deux militantes corses d’une vingtaine d’années, Laetitia Gasperi et Jackie Lucchini, qui sont arrêtées à Aiacciu et emprisonnées, avec une trentaine de leurs camarades masculins, dans le cadre de la retentissante Affaire Bastelica-Fesch.
Des militantes contre « Francia », officine du S.A.C
L’opération de 1980, coorganisée initialement par le Flnc et l’Apc, mouvement autonomiste légal, ne devait pas prendre la tournure qu’elle a eue, à savoir le repli d’un groupe de militants, de Bastelica sur Aiacciu et leur encerclement par les forces de l’ordre à l’hôtel Fesch, où ils avait pris les clients en otages et comptaient organiser une conférence de presse. Ils se rendront au Gign, après deux jours d’extrême tension, qui ont causé trois morts dans les rues de la ville, un Crs tué par un manifestant et deux civils tués par les forces de l’ordre. La médiatisation générée par les évènements tragiques a donné en fait plus de visibilité que prévu à l’objectif visé par l’opération: révéler à l’opinion publique l’existence en Corse de « Francia », un groupe local du SAC (Service d’Action Civique). Cette officine parallèle, dite « barbouzarde », née en 1961 du service d’ordre gaulliste, a été liée à de nombreuses affaires troubles, des violences diverses contre des opposants politiques au Pouvoir de droite mais aussi des crimes. Le S.A.C a été dissous par François Mitterrand. En Corse, son officine Francia a perpétré des attentats et avait planifié les assassinats de plusieurs militants nationalistes. Un Commissaire de police, Lucien Aimé-Blanc, reconnaîtra les faits dans un ouvrage publié en 2006, L’indic et le Commissaire (ed Plon).L’ une des femmes arrêtée en 1980, Laetitia Gasperi, aujourd’hui disparue et qui a été à l’époque incarcérée deux semaines, était liée à la mouvance autonomiste. L’ autre, Jackie Lucchini, épouse depuis de Pierrot Poggioli, était alors proche du FLNC. Elle a été incarcérée suite à l’Affaire Bastelica-Fesch durant un peu plus d’un mois à Fleury-Mérogis.
Deux femmes au maquis!
Dans le cadre de cette même Affaire, mais plusieurs mois après, à l’été 1980, deux autres femmes, dont SN, proche du Flnc, ont « pris le maquis » et n’en ressortiront qu’après la victoire de François Mitterrand en mai 1981. En février de cette année-là, lors du procès concernant les évènements de Bastelica Fesch, Laetitia Gasperi et Jackie Lucchini ne faisaient pas partie des accusés: elles avaient toutes deux obtenu un non-lieu, ainsi qu’une grande partie de leurs camarades.
Au cours de l’histoire du FLNC des Années 70-80, où s’est fixée la martyrologie nationaliste emblématique, aucune femme n’y apparaît et pour cause: aucune n’a trouvé la mort dans des circonstances liées à leur engagement. Aucune n’a été assassinée, comme Guy Orsoni en 1983, tuée en manipulant des explosifs, comme Stefanu Cardi en 1984, ou lors d’un attentat, comme Ghjuvan’Batti Acquaviva, en 1987. Durant l’époque suivante également, ce sont des hommes qui sont morts dans des circonstances analogues, mais la martyrologie n’aura pas le même statut, car s’y mêlent des militants tués lors de la « guerre fratricide » des Années 90.
Une image virile
Tout au long des décennies 70-80, au-delà de la martyrologie nationaliste, exclusivement masculine donc, aucun visage de femme ne s’impose non plus comme représentante du Mouvement, ou en tant qu’accusée lors de procès historiques ou en tant qu’élue à l’Assemblée de Corse. Aucune femme ne participe à la Direction du Flnc. Aucune n’est porte-parole lors des conférences de presse clandestines, au decorum très viril. Une marginalisation qui peut sembler surprenante, vu le rôle joué par certaines militantes qui, outre des missions plus traditionnelles, participent à la préparation de certaines conférences de presse, ainsi qu’à la rédaction d’articles et de textes de fond de l’organisation. C’est même une femme, CV, qui coorganisera en 1980 la fabrication et l’acheminement vers la Corse du « Livre Blanc » du flnc, sorti des presses de la LCR, la Ligue Communiste Révolutionnaire, mouvement fondé par Alain Krivine! Après la reprise des attentats en 1982, alors que le Gouvernement socialiste a succédé à un long Pouvoir de droite, des militantes de gauche qui avaient été partie prenante du flnc, ou ses compagnes de route, le quittent. Un retrait peu important d’un point de vue numérique, mais qui aura des incidences politiques plus grandes qu’il ne le semble.
Si des femmes s’en vont, des hommes en revanche, au-delà des militants sortis de prison après l’amnistie, vont rejoindre en plus grand nombre le flnc au cours des Années 80, notamment d’anciens militants autonomistes. Le « militaire » va prendre le pas sur le « politique », au fil d’une époque marquée par une radicalisation de l’action armée, engendrée par deux faits. Le premier concerne les suites de l’Affaire Orsoni, qui donnent lieu à une « vendetta politique ». Le second est lié à la lutte contre l’organisation antinationaliste Cfr, qui interdit même l’expression des groupes culturels de langue corse ayant émergé depuis les Années 70.
Plusieurs attentats visant directement des personnes ou ayant causé leur mort sont revendiqués par le flnc au cours de la décennie 80. Aucune femme n’y participe ni n’est visée. Aucune non plus n’est arrêtée pour apologie de la violence, comme le seront certains responsables masculins.
Des femmes sous les cagoules
A partir de la fin des Années 80, un nouvel acte s’ouvre dans l’histoire du mouvement clandestin, qui implose en factions rivales. La division devient plus manifeste lorsqu’au début des Années 90 émergent deux Flnc. L’époque va donner lieu à une « virilisation » plus grande du decorum des conférences de presse, avec des uniformes d’aspect plus militaire et l’exposition d’un armement plus lourd. Pourtant, c’est paradoxalement à cette époque que des femmes auraient participé à des conférences de presse, notamment celle du FLNC Canal Historique, en janvier 1996 à Tralonca. Si elle a eu lieu selon certains, la féminisation des rangs, invisible sous les cagoules, n’est toutefois pas revendiquée. L’objectif visé par cette organisation aurait été avant tout de faire nombre, pour imposer à l’opinion publique et au Gouvernement sa prédominance sur les autres factions.
Durant les Années 90 où les mouvements clandestins se déchirent en luttes fratricides, les femmes liées à ces organisations n’ont eu aucun rôle en ce qui concerne les attentats contre les membres des factions rivales. Aucune d’elles n’est tuée. Aucune proche des victimes ne mènera une Vindetta personnelle. Une seule appellera publiquement, au moment du drame, à venger son époux, mais reviendra ensuite sur ses propos.
Face aux Malamorti
Les premières concernées, au cours de ces années de plomb, apparaissent non pas en « Colomba » vengeresses, mais avant tout sous l’image d’ombres endeuillées, entourées par des hommes cagoulés qui rendent hommage au défunt par des salves d’honneur. La ritualisation concernant ces scènes funèbres est particulièrement codifiée en ce qui concerne le genre. Par rapport aux rites insulaires du passé en cas de Malamorti, la différence la plus marquante, en ce qui concerne les femmes, est l’absence de tout appel à la vengeance, même si certaines la souhaitent sans doute. Ce n’est pas le cas de celles qui accepteront de répondre aux médias, après les obsèques. La veuve, en 1996, d’un militant du Flnc Canal Historique, qui avait un enfant en bas-âge, déclarera à la télévision qu’elle ne veut pas pour son fils et pour la Corse de cette dérive fratricide. Certaines femmes en revanche, mais elles n’avaient pas eu de proches tués car c’était le premier meurtre d’un militant, ont applaudi à la revendication de l’assassinat de Robert Sozzi par son ancienne organisation, le flnc Canal Historique, lors des Ghjurnati Internaziunali di Corti en août 1993.
Deux avocates nationalistes et deux FLNC
C’est durant ces Années de plomb que deux militantes nationalistes, représentantes de deux factions rivales, vont accéder à des postes de pouvoir, inédits, au sein de leur mouvement respectif. Elles sont toutes deux avocates.
L’une d’elles est Marie-Josée Bellagamba, militante du MPA, le mouvement d’Alain Orsoni, expression légale du FLNC Canal Habituel. Elle a été la première femme nationaliste élue à l’Assemblée de Corse, de 1992 à 1998. L’ autre femme, c’est Marie-Hélène Mattei, membre de la Cuncolta Naziunalista, relais du FLNC Canal Historique. Elle sera tête de liste aux élections municipales de Bastia mais son élection sera invalidée et elle sera remplacée par le No 2 sur la liste, Charles Pieri. Elle a en revanche participé aux négociations de son organisation, concernant notamment les libérations de ses militants, à l’exclusion de ceux d’autres mouvements, avec le Ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, puis son successeur Jean-Louis Debré.
Marie-Hélène Mattei passera assez vite des allées du Pouvoir à l’ombre des prisons. Elle est arrêtée à la mi-décembre 1996 et écrouée. En cause: ses liens avec le flnc Canal Historique et surtout le rôle qu’elle aurait joué dans une tentative d’extorsion de fonds visant le PDG du Domaine de Sperone. Dans le monde nationaliste, elle est le premier membre du Barreau, les deux sexes confondus, à être mis en examen pour un tel chef d’inculpation. C’est également la première femme responsable d’un mouvement nationaliste et ayant eu des contacts étroits avec le Gouvernement à être déférée en justice. Elle est libérée fin mars 1997, sous contrôle judiciaire, en attendant son procès qui aura lieu en 2000. Elle est alors condamnée à quatre ans de prison, mais la Cour ne délivre pas de mandat de dépôt et la peine est réduite à trois ans en 2001, dont un avec sursis. Elle écope également de cinq ans de privation de droits civiques.
Radiation du Barreau et colis piégé
En 2000, Marie-Hélène Mattei a été par ailleurs mise en cause par l’avocat Pascal Garbarini pour avoir selon lui voulu transmettre par son intermédiaire une lettre contenant une puce de téléphone portable à Charles Pieri, responsable du Flnc Canal Historique alors incarcéré. Garbarini précise avoir jeté la sulfureuse pièce…
Le 31 juillet 2001, deux ans donc après les accords de Migliacciaru qui avaient scellé la réconciliation entre la plupart des organisations nationalistes, Marie-Hélène Mattei a reçu à Bastia un colis piégé, qui a été désamorcé. C’est la seule femme du mouvement nationaliste à avoir fait l’objet de ce type d’intimidations. En 2003, elle a été radiée du Barreau, suite à la condamnation de 2000 et sera incarcérée trois mois, en 2007, dans le cadre de la même procédure. En 2009, elle sera relaxée en ce ce qui concerne le dossier d’extorsion de fonds, mais pas concernant la condamnation liée à ses liens avec le Flnc Canal Historique, qui a été finalement de trois ans avec sursis.
Une militante « condamnée à mort » en 1995 ?
Au cours des attentats fratricides des années 90, aucune militante n’a été tuée, mais un tel danger a été craint par certains insulaires, lorsqu’ils ont appris qu’une femme faisait partie d’une liste de quatre noms de Corses « condamnés à mort » par le Flnc Canal Historique. L’information a été donnée dans un article de Renaud Leblond, paru dans l’Express du 12 janvier 1995. Si elle était fondée, ce qui aurait été le cas, c’était une menace totalement inédite dans l’histoire des mouvements clandestins insulaires. Elle n’a en tout cas pas été mise à exécution. En raison des controverse engendrées par le franchissement de la ligne rouge qu’aurait constitué l’assassinat d’une militante? Impossible à savoir. Depuis 1994, une mobilisation féminine massive s’était en tout cas amorcée, sous l’égide de ce qui est devenu ensuite Le Manifeste pour la Vie. Sa plus jeune porte-parole était Serena Battestini, la fille d’un des responsables historiques du Flnc, Nanou Battestini..
Au-delà du Manifeste, des femmes appartenant à différents mouvements nationalistes et proches de leur représentation clandestine respective ont pour leur part œuvré à un arrêt des affrontements fratricides et à la signature en juillet 1999 des Accords de Migliacciaru.
La piste agricole
Par ailleurs, à partir de 1998, suite à l’assassinat du préfet Claude Erignac, plusieurs centaines de Corses ont été interpellés et parmi eux, de nombreuses femmes. Beaucoup étaient des compagnes ou des proches de militants plus que des militantes elles-mêmes et elles ne seront pas mises en examen ni incarcérées, au-delà des procédures de gardes à vue. C’est en revanche le cas de Fabienne Maestracci, arrêtée en mars 1998, dans le cadre de l’ahurissante « piste agricole » à laquelle a été lié son compagnon. Cette piste fera long feu mais a déclenché la plus longue chasse aux sorcières de l’histoire de la Corse contemporaine. Elle a concerné des dizaines de personnes et duré jusqu’en 2016! Fabienne Maestracci a été incarcérée 13 mois à Fleury-Mérogis. C’est la plus longue détention d’une militante corse. Elle est d’autant plus marquante, si elle est mise en parallèle avec d’autres, que la personne concernée n’a pas été jugée : son affaire, comme celle de la plupart des accusés de la piste agricole, s’est terminée par un non-lieu !
Si Patrizia Gattaceca a écrit de très nombreux poèmes, et évoqué dans certaines de ses compositions la lutte nationaliste, elle n’a jamais publié d’ouvrage sur ses propres démêlés avec la Justice antiterroriste. En revanche, Fabienne Maestracci a évoqué son incarcération dans un ouvrage, intitulé Les murs de vos prisons (ed Albiana, 2001). Marie-Hélène Mattei a relaté elle aussi son parcours, au profil très différent, dans un livre publié en 2000 et intitulé Le prix du silence (ed Lafon).
Loin de ces ouvrages d’ordre autobiographique, Jackie Lucchini-Poggioli, la première militante à avoir été emprisonnée, avec Laetitia Gasperi, n’a pas parlé quant à elle dans ses productions, écrites ou audiovisuelles, de son itinéraire personnel, mais de celui, collectif, de l’ensemble des militantes insulaires. Elle les a évoquées dans un texte intitulé La longue marche des femmes corses, paru dans un ouvrage collectif, publié en 2002, « Une dramaturgie corse » (ed Autrement) . C’est une étude qui recontextualise l’engagement féminin nationaliste dans l’histoire des mouvements de femmes au XXe siècle dans l’île. Elle a consacré aussi à l’histoire politique des femmes insulaires, entre les Années 70 et 2000, un documentaire en langue corse, produit par ViaStella et intitulé « Donni corsi: E puri si sò mossi! »
Elle a relaté par ailleurs l’engagement féminin à travers deux autres documentaires bilingues. Dans Malastoria, sorti en 2017, elle a retracé, en même temps que des parcours de prisonniers masculins, ceux de militantes poursuivies comme Serena Bartoli, mais aussi ceux de mères et épouses de prisonniers. Dans Donni di Corsica, parolle cruciati/femmes de Corse, paroles croisées diffusé en 2019, elle a dressé les portraits de plusieurs actrices de la société civile corse actuelle, dont Ghjermana de Zerbi, anthropologue et figure historique du mouvement nationaliste et féministe, et Davia Benedetti, universitaire, artiste, et membre de Cori in Fronte.
Depuis l’adieu aux armes du flnc en 2014, la question de l’engagement féminin nationaliste lié à la lutte armée, ou vu comme tel par la Justice, ne s’est plus posée. Pas disparu pour autant, le sujet de la relation des femmes à la violence dans le champ politique, dans le cadre d’actions ponctuelles. Plusieurs militantes ont ainsi été interpellées, suite à des manifestations émaillées d’affrontements avec les forces de l’ordre.
C’est notamment le cas de Davia Benedetti, à l’époque étudiante et syndicaliste à Ghjuventù Paolina, Serena Bartoli, membre au moment de son arrestation de Ghjuventù Independentista, Elodie Pieri militante de Corsica Libera et sa fille Lisandra. Ces trois dernières ont été arrêtée en janvier 2014 et mises en examen, au lendemain d’une manifestation qui avait dégénéré à Corti. Elles ont été inculpées pour « violence envers agent de la force publique ». Ce sont les seules militantes nationalistes à avoir été mises en examen pour ce délit. Aucune d’entre elles n’a été incarcérée. Elodie Pieri l’avait en revanche été en 2004, à Fleury-Mérogis, mais pour sa participation, en tant que gestionnaire ou actionnaire, à diverses Sociétés, notamment hôtelière et de gardiennage, accusées d’avoir alimenté le Flnc Canal Historique, dont son père Charles Pieri était l’un des responsables. En 2014, si elle a échappé à la prison, elle a été placée sous contrôle judiciaire. Sa fille Lisandra et Serena Bartoli ont été quant à elles mises en liberté surveillée, car elles étaient mineures au moment des faits.
Depuis 2014, ce ne sont par contre que des hommes qui ont été interpellés suite à des attentats, en 2019 par exemple, ou qui ont participé à des actions à visage découvert ayant entraîné des heurts avec les forces de l’ordre, comme la brève occupation de la préfecture d’Aiacciu en février 2021 par une vingtaine de jeunes militants.
Près d’un demi-siècle après la création du Flnc, si l’on regarde de près l’histoire de l’engagement féminin nationaliste lié à la violence, clandestine ou pas, et sa répression judiciaire, un fait majeur émerge: parmi les centaines de Nationalistes corses qui ont été emprisonnés depuis les Années 70, les femmes ne sont que six à avoir été incarcérées (pas simplement interpellées).
Six militantes emprisonnées, depuis les débuts du Flnc
Parmi elles, trois seulement, Colette Meynard, Marie-Hélène Mattei et Elodie Pieri, sont passées en procès. Le plus long mandat de dépôt demandé à été celui de Colette Meynard et la plus longue incarcération, celle de Fabienne Maestracci. La dernière détention féminine corse, pour une nationaliste, remonte à 2007: c’est celle de Marie-Hélène Mattei. L’ultime condamnation d’une femme corse par la justice antiterroriste date de 2013 : c’est celle de Patrizia Gattaceca. Toutes les militantes jugées ou emprisonnées dans le cadre de la législation antiterroriste sont des militantes de la même génération: celle dite des « Années 70 ». C’est le cas aussi de S.N, la femme qui a pris le maquis en 1980 et est ressortie en mai 1981.
Les incarcérations des femmes, jugées ou pas, ont été brèves, si on les met en parallèle à celles de nombreux hommes: pour les plus lourdement condamnés, elles se sont situées entre huit ans et la perpétuité, pour trois des militants jugés dans le cadre de l »Affaire Erignac et 25 ans de prison, pour Charles Santoni. Une raison à cette asymétrie des condamnations concernant le genre: aucune militante insulaire n’a jamais été inculpée en tant qu’auteure d’attentat, encore moins ayant fait couler le sang. Cette situation renvoie à un profil très atypique du mouvement clandestin corse en ce qui concerne la question du genre, par rapport à l’ETA basque ou à l’IRA irlandaise. Bien des militantes de ces mouvements ont en effet été jugées quant à elles pour des attentats y compris ayant causé des morts et des blessés, et elles sont restées en prison des dizaines d’années, ou le sont encore, pour les Basques.
En ce qui concerne les militantes du Flnc, sept ans après l’adieu aux armes de cette organisation, elles restent toutes dans l’ombre. Elles ne veulent pas témoigner ou n’ont pas été sollicitées pour le faire. Peut-être cela aura-t-il lieu dans le cadre de la thèse préparée par Caroline Torres à l’Université de Corse sur les femmes engagées dans les Mouvements nationaliste et féministe. Pour l’heure, la seule femme qui a évoqué publiquement, en l’occurrence sur le site Cafébabel # Blue Border, son soutien à l’action clandestine est Dominique Giacomoni, 63 ans. Elle fait elle aussi partie de la Génération de 70.
Aujourd’hui, elle est militante de l’organisation autonomiste et féministe Donne di manca, fondée par Anne-Laure Cristofari en 2019. Elle précise que son action, dans les Années 80, s’est uniquement limitée à un transport d’armes. Aucune femme n’a à ce jour revendiqué publiquement sa participation à des attentats. Cette parole émergera peut-être bientôt, mais le caractère très décalé qu’elle aura par rapport aux évènements est éminemment symbolique.
Dans le passé, les témoignages publics des femmes ayant participé à des évènements historiques ont été eux aussi souvent très tardifs, y compris concernant des pages particulièrement mythiques.
L’apanage masculin des armes
Bien des Résistantes corses de 39-45 ont de fait attendu des décennies avant d’évoquer leur engagement contre l’Occupant. Certaines sont décédées sans l’avoir jamais fait! Même durant la Seconde guerre toutefois, elles n’ont pas participé, en Corse, à des combats armes au poing. Si des photographies présentent certaines d’entre elles avec des fusils, il s’agit de reconstitutions faites à la Libération. Si les femmes insulaires, du monde rural notamment, connaissaient le maniement des armes à feu, si présentes en Corse, s’en servir durant la guerre n’a pas été, les concernant, un fait historiquement avéré.
Très loin de certains mythes, les us et coutumes corses, très patriarcaux, concernant les armes, expliquent la place marginale des militantes dans la violence clandestine nationaliste. Même si dans les Années 70-80, marquées par l’essor du féminisme, certaines, très rares, ont pu battre en brèche les normes de genre et participer à des attentats, les codes culturels ambiants les ont rapidement ramenées à un rôle plus conventionnel. Les femmes corses nationalistes, contrairement aux militantes basques et irlandaises, ont laissé aux hommes l’apanage des armes et plus encore le redoutable pouvoir de faire couler le sang : un pouvoir très valorisé en fait dans le monde entier à travers l’histoire, et interdit y compris par la Loi durant des siècles et jusqu’au XXe, dans les Armées de métier, au genre qui donne la vie.