Liste Eculugia Sulidaria: une voix plurielle

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2021 est une année historique pour le mouvement écologiste: c’est la première fois, depuis 23 ans, qu’une de ses émanations a sa propre liste aux Territoriales. A partir de 1999, les Verts n’ont été présents en effet aux élections que dans le cadre de listes nationalistes, cette mouvance étant à l’origine de la lutte pour la défense de l’Environnement dans l’île. L’évolution actuelle renvoie à l’essor de la revendication écologiste sur la scène internationale, suite à la prise de conscience de la menace que les atteintes à l’environnement font courir à la planète elle-même. En Corse,  une nouvelle page s’ouvre dans l’histoire des Verts, mais elle n’est pas facile à écrire.

A l’orée-même de la Campagne électorale, un premier malentendu très signicatif a rapidement surgi, suite à la présentation à la presse d’une Coalition Verte, fondée dans l’objectif des élections et qui regroupe quatre mouvements: EELV, Génération.S, Nouvelle Donne et Génération Ecologie. Une des porte parole de la nouvelle formation avait été Leslie Pellegri, la secrétaire régionale d’EELV, la plus importante des organisations concernées et la plus proche du mouvement nationaliste. La focalisation médiatique sur la jeune femme avait laissé accroire qu’elle serait la tête de liste. L’information était erronée. Leslie Pellegri n’est en fait même pas présente sur la liste. C’est Agnès Simonpietri qui la conduit. La candidate, ancienne conseillère territoriale et ex-membre de Femu a Corsica, le mouvement fondé par Gilles Simeoni, a été présidente de l’Office de l’Environnement de 2015 à 2017.

Un “partenariat historique” avec les Nationalistes

Si Leslie Pellegri n’apparaît pas sur la liste, c’est en raison d’une décision prise par les membres de la Coalition: le refus d’inclure des élus actuels parmi les candidats. Or la jeune femme est conseillère municipale à Bastia. Elle a été élue sur la liste de Pierre Savelli, membre de Femu a Corsica

 Elle n’avait d’ailleurs pas caché « les convergences » de la Coalition avec le mouvement simeoniste, lors d’une interview évoquant le choix que pourrait faire Ecologia Sulidaria au second tour, évoquant des « accords électoraux  » conclus dans le passé et « une campagne commune » elle aussi déjà menée. Une déclaration faite dans la précipitation, qui explique sans doute la décision d’écarter son auteure de la liste, comme d’autres éventuels élus membres par ailleurs de la Coalition. Sa mise hors-champ n’empêche pas Leslie Pellegri de soutenir la liste, comme en témoignent ses messages sur les réseaux sociaux.

Agnès Simonpietri refuse pour sa part de se prononcer quant au choix que fera sa liste au second tour, , si elle ne franchit pas la barre fatidique. Elle précise juste un point: la Coalition verte n’appellera pas à soutenir la Droite. La liste revendique clairement son ancrage à gauche, tout en reconnaissant son « partenariat historique avec les Nationalistes ». 

Un ancrage à gauche

La Coalition verte souligne que son objectif est d’élargir la base de la mouvance écologiste à gauche, de promouvoir un « vrai débat d’idées » et de « tourner le dos au passé ».  En 2013, EELV s’était violemment déchirée entre les plus anciens Verts corses, par ailleurs militants nationalistes, et un courant de gauche, lors d’un débat interne au sujet de propositions faits par le mouvement nationaliste. Aujourd’hui, la liste regroupe un panel de militants aux sensibilités politiques plus diverses. A défaut de s’être élargie à des militants nationalistes, qui soutiennent pour la plupart les différentes formations de cette mouvance, elle accueille des transfuges d’une gauche en déshérence.

Se retrouvent ainsi au coude-à-coude avec des écologistes proches du courant simeoniste, des Socialistes comme Anne-Marie Luciani, ancienne conseillère municipale à l’époque de la mandature de Simon Renucci, mais aussi des militants issus d’une gauche républicaine historiquement opposée à la revendication identitaire. 

Ce dernier courant émerge notamment avec le visage d’Isaline Amalric-Choury, qui apparaît à la 63e place, la plus visible, avec la No1. Cette candidate faisait partie, en 2019, du comité de soutien à Ian Brossat, candidat du PCF aux élections européennes, où était présente une liste écologiste qui comptait dans ses rangs un insulaire, François Alfonsi, militant vert de longue date et membre de Femu a Corsica

Jusqu’à aujourd’hui, Isaline Amalric-Choury n’était pas connue quant à elle pour son engagement dans les rangs écologistes. Elle est surtout célèbre en Corse en tant que nièce de Danielle Casanova, héroïne de la Résistance communiste dont elle entretient la mémoire. Sa participation à la liste écologiste s’avère sa première rupture officielle en Corse avec sa famille politique, le PCF, qui est présent aux Territoriales. Le tournant qu’elle opère est très symbolique de la recomposition politique corse actuelle et de celle du mouvement Vert qui compte bien se redéployer à gauche. Un grand vide y est effectivement à combler

Les « identitaires » et les autres

Parmi les candidats d’Ecologia Solidaria jusque-là non connus en Corse comme Verts, outre Isaline Amalric-Choury, on repère le nom de Liza Terrazzoni, sociologue, qui semblait peu susceptible de partager la proximité revendiquée de la mouvance écologiste corse avec les Nationalistes.

L’Universitaire a en effet développé dans ses écrits une analyse plutôt très critique au regard de la revendication identitaire, porteuse selon elle de graves menaces pour la démocratie et notamment de dérives racistes. Sa présence sur la liste, dont le programme reprend en fait très largement toutes les revendications nationalistes, souligne qu’elle a elle aussi opéré un grand tournant dans sa réflexion politique. 

Venu quant à lui d’un horizon très différent de la sociologue, Ugo Casabianca est lié étroitement à la scène politique et culturelle identitaire, tout comme sa famille,  installée à Pigna. Ces deux candidats, comme les autres, symbolisent la pluralité des voix qui se retrouvent aujourd’hui unies pour la défense de l’Environnement et sur des « idées de gauche ». Reste à savoir quelle sera la liste qui, selon eux, représentera la gauche au second tour de ces élections et qui bénéficiera le plus de leurs voix, au cas où Ecologia Solidaria n’arriverait pas à franchir le cap du 1er tour. De fait, si les Communistes sont eux aussi écartés du second tour, comme ils l’ont été lors des dernières Territoriales, il n’y aura aucune liste identifiée comme de gauche!  

L’absence des grand noms corses de la lutte Verte 

A y regarder de près, un fait majeur, mais peu mis en exergue, interroge quant à la composition de la liste écologiste. On y dénombre en effet des candidats qui n’ont jamais été connus jusque-là pour leur militantisme vert, mais en revanche, on n’y recense aucun des noms les plus représentatifs de la lutte pour l’Environnement durant ces dernières décennies! Ni Michèle Salotti, fondatrice de l’Association U Levante, ni Vincente Cucchi, qui se bat depuis des années avec l’Association ABCDE à Bunifaziu contre les atteintes à l’Environnement engendrées notamment par la spéculation immobilière. Vincente Cucchi a précisé à Corsica.News qu’elle n’avait pas été sollicitée pour intégrer la Coalition et la liste. C’est le cas visiblement de bien d’autres militants historiques de la défense de l’Environnement en Corse, non élus d’une quelconque organisation et qui correspondaient a priori donc au profil des candidats recherchés pour la liste. La volonté de ne pas les solliciter est donc un vrai choix politique. A quoi correspond-il?  Au désir d’éviter des personnalités corsistes mais au discours très critique sur la gestion de la Majorité Territoriale? Bien difficile à dire, mais le choix est en tout cas très étrange, par rapport à des militantes si investies et qui ont subi de graves menaces par rapport à leur engagement. 

En l’absence de ces grandes figures de la lutte pour l’Environnement, le nom le plus connu de la liste est celui de sa No1. Contrairement aux représentantes Vertes précitées, son parcours, jusqu’à une date récente, l’identifie au mouvement de Gilles Simeoni dont elle était membre et à la majorité Territoriale à laquelle elle a participé et en tant qu’élue et en tant que Présidente de l’Office de l’Environnement. 

La difficile voie de l’émancipation 

Le passé récent d’Agnès Simonpietri, comme le profil de plusieurs membres de la Coalition et candidats, tout comme le soutien apporté par Gilles Simeoni à la liste EELV aux élections européennes et l’élection sur cette liste de François Alfonsi, membre par ailleurs de Femu a Corsica, rendent de fait compliquée  une émancipation véritable des Ecologistes par rapport à l’aile « simeoniste » du mouvement nationaliste. Le discours en sa faveur, tenu spontanément par Leslie Pellegri, a mis cette difficulté en exergue, même si cette erreur de communication a vite été  rectifiée par la mise à l’écart de son auteure. 

Pour Ecologia Solidaria, la seule voie pour acquérir une véritable autonomie à l’égard du mouvement simeoniste serait de faire carton plein au 1er tour et de choisir de se maintenir. Ce sera possible ou pas selon les résultats des différentes listes en présence, l’éventualité d’une forte poussée de la droite, et les choix des autres candidats. 

La question des femmes 

Au-delà de sa quête d’indépendance par rapport à la mouvance nationaliste, la liste écologiste a en tout cas réussi à afficher une identité spécifique sur d’autres plans: c’est  tout d’abord la seule conduite par une femme. Au-delà de son genre, son profil  est lui-même atypique par rapport aux autres têtes de liste:  Agnès Simonpietri est la seule à vivre dans le monde rural, un espace si symbolique en Corse. C’est la seule aussi à avoir, sa vie durant, été investie dans une entreprise emblématique de l’économie identitaire et liée au pastoralisme,  un profil lui aussi emblématique par rapport à la culture insulaire. Quant à la dernière candidate de la liste, Isaline Amalric Choury, elle vit elle aussi dans un village, Piana, et porte pour sa part une mémoire particulièrement forte: celle de la Résistance féminine aux Nazis. 

La question des femmes est indéniablement plus présente dans le discours de la liste que dans celui de ses concurrentes. 

Un tournant dans l’iconographie politique corse

Un dessin apparaissant sur le site Web de la Coalition verte dévoile un surgissement inédit dans le champ iconographique  insulaire de ces élections : parmi un groupe de femmes, rassemblant des visages plus ou moins célèbres, toutes les couleurs de peau sont représentées ainsi que d’autres symboles de la diversité:  une coiffe évoquant le turban hindou ou le voile d’une musulmane et, plus visible en haut de la composition, l’image barbue d’un personnage transgenre. Cette triple émergence, féministe, antiraciste et pro lgbt, renvoie, au-delà de la défense de l’environnement, aux couleurs affichées elles aussi dans le célèbre « arc-en-ciel » du logo écologiste. Plus surprenante, dans le dessin évoqué, la mention « USA », qui apparaît en haut et à gauche et s’avère être le seul mot présent dans cette image, on ignore pourquoi! Cette référence aux Etats-Unis, puissance dominante très controversée, y compris par les Verts du monde entier, peut engendrer un malentendu et s’avérer sans doute contre-productive, par rapport au message porté par l’image, qui est novateur.

L’image témoigne d’un tournant historique dans l’iconographie politique et électorale corse. Ce fait est jusque-là passé inaperçu. Sa dimension symbolique est pourtant très forte, tout comme l’identité numérique du site d’Ecologia Sulidaria. Si diverses Associations et des mouvements comme EELV en avaient déjà un, c’est le premier qui a un profil si élaboré. Il apparaît comme la trace la plus visible de la nouvelle page écrite par une partie de la mouvance Verte (re)faisant irruption en 2021 dans l’arène électorale sous ses propres couleurs.

L'Autori

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