L’Affaire Sarah Halimi, une retraitée de confession juive tuée à Paris en avril 2017 par son voisin islamiste, a connu de nouveaux rebondissements, depuis les manifestations de janvier et du 25 avril, qui ont eu des échos en Corse aussi. Un projet de réforme de la Loi, concernant l’irresponsabilité pénale dont a bénéficié son meurtrier, est à l’ordre du jour. Par ailleurs, le dépôt d’une plainte a été annoncé le 3 mai contre un message appelant, sur facebook, à la mise en place d’un comité de soutien à l’assassin.
C’est l’avocat du Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme qui a annoncé une plainte à l’encontre du « meurtrier présenté comme persécuté ». Avant même que la Justice ne soit saisie, le message d’amis de Kobili Traoré, mis en ligne le 26 avril et qui n’avait eu le temps que de regrouper une trentaine de personnes, a toutefois disparu des réseaux sociaux. En revanche, la mobilisation contre la décision de justice qui a conclu à l’irresponsabilité pénale du tueur, est montée en puissance. Cette décision, prononcée en Appel le 19 décembre 2019 et confirmée par la Cour de Cassation le 14 avril 2021, a suscité à chaque fois une vague d’indignation considérable. Des rassemblements ont été organisés, dans différentes villes de l’Hexagone ainsi qu’en Corse, à Aiacciu et Bastia. Le 25 avril, 25 000 personnes ont manifesté à Paris. Pour de nombreux témoins, la tonalité de cette mobilisation marque un tournant dans l’histoire de la communauté juive française. Une partie de ses membres, depuis des années en plein désarroi face au nouvel essor de l’antisémitisme, a durci le ton, face à ce qu’ils présentent comme « un scandale judiciaire ».
Aujourd’hui, les suites de l’Affaire Halimi ont pris une nouvelle tournure. L’évènement a ouvert la porte à une prochaine réforme de la Loi. De nombreuses voix remettent en effet en question la notion d’irresponsabilité pénale qui a été reconnue au meurtrier. Si, en cas de démence avérée, une telle irresponsabilité n’est pas contestée, elle ne devrait plus être recevable, disent certains, à partir du moment où l’altération du discernement ne vient pas d’un trouble psychique préexistant, mais d’une consommation volontaire de produits toxiques, ce qui était le cas de Kobili Traoré. Dans son passé, si divers délits sont dénombrés, aucune trace de pathologie mentale ne serait en effet signalée. C’est sa surconsommation de cannabis qui aurait provoqué des bouffées délirantes ayant conduit au passage à l’acte. Toutefois, au-delà du délire provoqué par la drogue, le profil antisémite de l’accusé a été mis en exergue par la Justice. Il fréquentait une mosquée salafiste et traitait sa victime de « sale juive » avant le jour de son meurtre, commis aux cris d’ « Allah Akbar », contre celle qu’il désignait, au vu de sa religion, comme « un démon » !
Par ailleurs, l’un des experts soulignait dans son rapport que le discernement de Kobili Traoré au moment des faits était certes « altéré », mais pas totalement « aboli », ce qui induit une différence majeure en matière pénale. Les experts ne sont toutefois pas d’accord entre eux sur les questions complexes induites, dans le champ de la Loi, par l’évaluation du discernement humain, selon la nature et l’intensité des troubles qui peuvent l’affecter, leurs causes et leurs effets, prévisibles ou pas. De la responsabilité pénale reconnue à l’irresponsabilité totale, il y a différents stades intermédiaires et il y aurait un vide juridique à combler, concernant la réponse pénale à adapter en fonction de deux faits : le discernement de l’accusé, plus ou moins altéré ou complètement aboli au moment du passage à l’acte, et les causes-mêmes des troubles qui l’ont induit.
François Molins, procureur à la Cour de Cassation, admet que la loi n’est « sans doute » pas adaptée, mais il met en garde contre la tentation d’une réforme pénale décidée dans l’urgence et sous le coup de l’émotion. Elle pourrait aboutir à pénaliser la maladie mentale, reconnue en France depuis le Code Pénal de 1810 comme une cause majeure d’annulation de l’infraction.
En ce qui concerne le jugement d’irresponsabilité du meurtrier de Sarah Halimi, certains rappellent qu’un homme, ivre et drogué, accusé d’avoir jeté un chien par la fenêtre, a été condamné, début 2020, à un an de prison. Il serait plus passible de sanction pénale que Kobili Traoré, drogué lui aussi et qui a défenestré sa victime après l’avoir battue ? Et pourquoi l’état d’ivresse ou la consommation de stupéfiants sont-ils jugés comme circonstances aggravantes dans les cas d’accidents de la route, alors que la consommation de drogue a conduit au contraire à considérer le meurtrier de Sarah Halimi comme irresponsable devant la Loi ?
Dès le 23 janvier 2020, devant la Communauté française établie en Israël, Emmanuel Macron avait précisé que, quelle que soit la décision prise par les juges, le besoin d’un procès se faisait sentir. Il avait souligné toutefois que « le Président de la République ne pouvait commenter une décision de justice ni la remettre en cause ». Son annonce avait malgré tout provoqué une levée de boucliers dans les sphères judiciaires françaises, magistrats et avocats rappelant l’indépendance de la Justice et dénonçant la pression que pouvaient représenter les propos d’Emmanuel Macron sur la procédure alors en cours d’instruction, avant l’arrêt de la Cour de Cassation.À lire aussi :
En France, depuis des mois, de nombreuses voix se sont élevées, dans le sillage des propos d’Emmanuel Macron, pour demander, à défaut d’une condamnation, la tenue d’un procès pour que soit reconnue publiquement la qualification de « crime antisémite ». Elle a en fait bel et bien été retenue: ce point a été mis en exergue par le procureur François Molin le 26 avril. Il a souligné que la Justice avait effectivement conclu à « un homicide aggravé par son caractère antisémite ». Le magistrat a parallèlement pris la défense de la décision de ses pairs, qui ont conclu à l’irresponsabilité pénale de l’accusé, excluant un procès à son encontre et une mise en détention, remplacée par un internement psychiatrique : c’est ce que prévoit l’article 122-1 du Code Pénal dans un tel cas.
Le dossier est très épineux et prend de fait une dimension particulière aujourd’hui. La notion d’irresponsabilité pénale peut s’avérer très problématique en ce qui concerne les auteurs d’actes terroristes s’avérant drogués : leurs avocats pourraient évoquer, pour qu’ils échappent à un procès, une perte de discernement consécutive à un usage des stupéfiants… Quant aux violences générées par l’antisémitisme qui a tant marqué l’Histoire et connaît un nouvel essor, comme en témoigne justement l’Affaire Halimi, elles pourraient se retrouver dépénalisées en France, au prétexte que leurs auteurs seraient drogués ou ivres ou considérés comme délirants, et pas mus par un discours idéologique haineux, à la dimension attestée dans divers horizons.
Fin avril, le ministre de la Justice a annoncé un projet de loi sur l’irresponsabilité pénale qui sera présenté fin mai en Conseil des ministres. Son vote par le Parlement aurait lieu dans la foulée, avant la Rentrée de septembre. Certains ont demandé symboliquement que la Loi porte le nom de Sarah Halimi.
Les Français de confession ou d’origine juive représentent seulement 1% aujourd’hui de la population du pays, mais concentreraient sur eux 41% des actes de violence raciste, au vu des derniers chiffres disponibles sur la question. Dans l’histoire récente, c’est la seule Communauté, en France-même, dont de très jeunes enfants ont été tués après avoir été individuellement ciblés – au-delà des victimes collectives survenues lors d’attentats de masse – par rapport à leur identité! C’était en 2012.
En Corse, aucune violence antisémite n’a pour l’heure été recensée mais les Juifs insulaires – aujourd’hui quelques dizaines seulement à être dénombrés – s’avouent inquiets pour leurs proches établis dans l’Hexagone.
La petite Communauté israélite corse a été fondée en 1915, après l’arrivée de plus de 750 réfugiés venus de Syrie et de Palestine, alors sous domination ottomane, durant la Première Guerre Mondiale.